La culture semble faire l’objet d’un regain d’engagement dans l’agenda de l’Union Africaine(UA). Lors du dernier sommet de l’UA, en février dernier, la réunion du conseil créé au sein de cette institution en vue de promouvoir la culture a fait des annonces pour “une Afrique dotée d’une forte identité culturelle, d’un patrimoine commun, et de valeurs et d’éthique partagées”.
La culture était un des points au programme du 33ème sommet de l’Union africaine qui s’est tenu du 9 au 11 février 2020 à Addis-Abeba. Réunis autour du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, coordinateur de l’UA pour la culture, plusieurs chefs d’État africains ont affirmé leur engagement à promouvoir les arts, la culture, et le patrimoine africain.
La question de la culture fait partie des sept aspirations de l’UA dans l’agenda U63 intitulé « Nos aspirations pour l’Afrique que nous voulons ». L’aspiration 5 relative à la culture est ainsi libellée : “Une Afrique dotée d’une forte identité culturelle, d’un patrimoine commun, et de valeurs et d’éthique partagées”. L’atteinte de cet objectif exige ainsi « une renaissance culturelle africaine prééminente qui inculque l’esprit du panafricanisme; l’exploitation du riche patrimoine et la culture de l’Afrique pour faire en sorte que les arts créatifs contribuent de manière significative à la croissance et à la transformation de l’Afrique; et la restauration et la préservation du patrimoine culturel de l’Afrique, y compris de ses langues ».
La création au sein de l’UA d’un conseil dédié à la promotion de la culture participe de la volonté de concrétiser cette aspiration. Des orientations stratégiques et un plan d’action devraient être élaborés dans ce sens cette année. Aussi, entre autres, les chefs d’État ont proposé le renforcement des échanges intercommunautaires et interculturels sur le continent. Il est question également d’une résolution qui fera de 2021, année des arts, de la culture, et du patrimoine pourrait d’ailleurs en faire partie. Un des projets phares annoncé au niveau de l’UA est celui du grand musée africain qui vise à faire connaître « les artefacts culturels vastes, dynamiques et divers de l’Afrique ainsi que l’influence que le continent a eue et continue d’avoir sur les différentes cultures du monde dans des domaines tels que l’art, la musique, la langue, la science, etc. »
Quid du débat sur la restitution du patrimoine culturel ?
L’engagement de l’UA pour la promotion des arts, de la culture, et du patrimoine africain s’exprime dans un contexte marqué par le débat sur la restitution des biens culturels africains.
Le Benin qui avait réclamé officiellement le 1er août 2016 la restitution de son patrimoine fait partie des premiers défenseurs de la cause sur le continent. Le 17 janvier 2020 ce sont 28 objets appartenant aux anciens rois d’Abomey qui ont été rendus au Benin après leur acquisition par un collectif d’antiquaires français passionnés d’art africain et du Bénin. Les échanges se poursuivent entre les autorités béninoises et françaises pour fixer ensemble les étapes et modalités de restitution de ces biens culturels.
Dans la même dynamique, en novembre 2019, le premier ministre français Edouard Philipe a remis symboliquement au président sénégalais Macky Sall un sabre qui appartenait à Elhadj Oumar Tall, le fondateur de l’empire Toucouleur. Ce geste s’inscrit selon Edouard Philipe dans l’engagement du président Emmanuel Macron de commencer la restitution du patrimoine culturel africain. Un engagement exprimé depuis novembre 2017, lorsque le président Macron déclarait dans son discours à l’université de Ouagadougou : « je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Ce qui constitue une ouverture dans la politique patrimoniale française fondée jusque-là sur l’inaliénabilité des œuvres conservées dans les établissements français qui protège de ce fait les biens culturels africains répertoriés dans les collections nationales en France. Une réponse est proposée à travers le « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » de Felwine Sarr, à l’époque professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis (Sénégal), et Bénédicte Savoy, historienne d’art et membre du Collège de France.
Ce document remis au président Macron suscite encore des réactions comme celle de l’ancien président du Musée du Quai Branly, Stéphane Martin qui dénonçait le 19 février 2020 devant la commission de la culture du Sénat français, « un rapport prônant des restitutions massives d’œuvres à l’Afrique ». Pour M. Stéphane Martin qui est resté durant 21 ans à la tête de ce musée abritant la plus grande collection française d’arts premiers, il vaut mieux parler de “circulation” des œuvres et de “partage”, ” des prêts, des dépôts et un certain nombre de transferts de propriétés”, plutôt que de restitutions massives comme prôné par le rapport.
On trouve environ 88 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne dans les collections publiques françaises, dont 70 000 au seul musée du quai Branly à Paris, des statuettes, bijoux, masques, peintures et même 518 volumes à la Bibliothèque nationale. Ces biens culturels se sont retrouvés en France comme butins des conquêtes coloniales ; legs de “particuliers”, ou héritages de familles de colons ; à travers des missions ethnographiques des années 1920-1930 ou suite à des achats sur le marché de l’art pas toujours légaux.
Dans la perspective de la restitution de ce patrimoine culturel africain la concrétisation par l’UA du projet du grand musée africain serait d’une grande importance même si dans le contexte actuel il se pose la question de la conception de cette institution. En effet, dans la même lancée que son collègue Felwine Sarr, et à l’opposé de Stéphane Martin, le philosophe camerounais Achille Mbembé propose de revoir la conception du musée. « Le musée tel qu’il existe est une institution occidentale moderne. Les objets avaient pour vocation de disséminer les énergies vitales, d’accompagner les communautés. Si on veut réanimer ces objets, il faut les libérer du musée conçu par l’Occident au XIXème siècle, il faut les sortir de la captivité », estime l’universitaire camerounais.
Mais il reste à savoir si les dirigeants africains iront au-delà des professions de foi pour investir conséquemment dans la promotion de la culture à travers la création d’infrastructures, susciter l’entrepreneuriat culturel et s’engager véritablement dans le rapatriement des biens culturels. Cela, pour faire de la culture un vecteur essentiel de développement, une ressource durable.